Du jeu d’échecs à la PCR quantitative en temps réél

La légende de Sissa

 

Il y a très longtemps en Inde, le roi Belkib s’ennuyait. Ce prince guerrier avait vaincu tous ses ennemis et se morfondait dans son palais. Le brahmane Sissa lui apprit un nouveau jeu qu’il venait d’inventer et qui se jouait sur un plateau à soixante-quatre cases noires et blanches : les échecs.

Le souverain se prit de passion pour cette nouvelle distraction et proposa à Sissa de le récompenser en lui offrant une pièce d’or par case de l’échiquier. Sissa refusa humblement et lui demanda, pour nourrir ses poules, de lui offrir plutôt un grain de blé sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, huit sur la quatrième et ainsi de suite jusqu’à la dernière.

Le roi s’empressa d’accepter, heureux de s’en tirer à si bon compte. Ce qu’il ne savait pas encore c’était que la totalité des grains de blé réclamés par le Brahmane représentait environ la surface de la terre, océans compris, recouverte d’une épaisseur d’un mètre de grains de blé !!!

La PCR : principe technique

Dans la technique de PCR que nous venons de mettre en place au sein du laboratoire DYNABIO, les grains de blés du brahmane Sissa sont des fragments d’ADN double brin, spécifiques de germes responsables d’infections sexuellement transmissibles (IST).

Le prélèvement – qui peut être gynécologique, urétral ou urinaire – est mis en contact avec un mélange réactif comprenant des amorces spécifiques des germes à rechercher, des nucléotides isolés (constituants primaires de l’ADN) et une enzyme, la TAQ polymérase. Cette enzyme est capable, même à haute température, de reconstituer un ADN double brin en incorporant les nucléotides du milieu réactionnel sur un brin isolé porteur de l’amorce.

Les amorces sont couplées à un marqueur fluorescent qui est activé lorsque l’amorce se fixe sur l’ADN cible du germe recherché, ce qui permet d’établir sa quantification.

Dans un premier temps, le mélange réactionnel est chauffé à 95°C ce qui sépare les brins d’ADN en deux. Les amorces se fixent alors sur leur cible si celle-ci est présente puis les polymérases reconstituent à partir de ces amorces deux copies d’ADN double brin identique à l’ADN initial. Ce cycle se renouvelle jusqu’à ce que le signal fluorescent soit détectable.

Il est couramment admis qu’il faut 1010 copies pour atteindre le signal seuil. En partant de 1 000 000 de copies initiales, le seuil est atteint au bout de 14 cycles, 25 cycles pour 1000 copies initiales et 33 cycles pour 1 copie initiale. Nous sommes donc encore loin des soixante-quatre cases de l’échiquier de Sissa !

Il est donc théoriquement possible d’identifier une bactérie même si elle n’est présente qu’en un seul exemplaire dans l’échantillon. En pratique, les seuils de détection sont plus élevés mais restent infiniment plus performants que les techniques classiques.

Germes recherchés

Le test est réalisé sur prescription médicale avec recherche de Chlamydiae trachomatis par PCR mais il présente l’intérêt de pouvoir diagnostiquer simultanément deux autres agents pathogènes : Neisseria gonorrhoeae et Mycoplasma genitalium.

  • Chlamydiae trachomatis 

Chez l’homme, il provoque des infections uro-génitales (urétrites, épididymites) mais dans 50% des cas le portage est asymptomatique. Chlamydiae trachomatis est un germe intra-cellulaire dont la culture n’est pas possible avec les techniques bactériologiques classiques, c’est pourquoi son rôle pathogène a longtemps été sous-estimé avant l’apparition des techniques de biologie moléculaire.

Chez la femme, il est responsable d’infections génitales basses (vaginites, cervicites) ou hautes (salpingites, endométrites, maladies pelviennes) ; dans 75% des cas l’infection passe inaperçue avec comme risque principal la survenue d’une stérilité tubaire souvent définitive. Chez la femme enceinte, il peut être la cause d’avortements ou de retards de croissance avec un risque de contamination du nouveau-né au moment de l’accouchement.

Il s’agit du premier agent bactérien responsable d’IST en France, en Europe et aux Etats-Unis ; 75% des infections sont rapportées chez les sujets jeunes âgés entre 15 et 24 ans.

  • Neisseria  gonorrhoeae

Appelé aussi gonocoque, il est l’agent causal de la gonorrhée (populairement appelée « chaude pisse »). Très évocatrice chez l’homme, l’infection peut passer inaperçue chez la femme ce qui favorise sa transmission. Il s’agit d’un germe très fragile dont la survie en dehors du corps humain est limitée. Ainsi, sa recherche par les techniques de culture classiques est souvent faussement négative et la PCR permet d’améliorer grandement la fiabilité de son dépistage.

  • Mycoplasma genitalium

Sa recherche est préconisée dans les dernières recommandations de l ‘HAS  de novembre 2016 :« Urétrites et cervicites non compliquées, stratégie diagnostique et thérapeutique de prise en charge ».

Comme Chlamydiae trachomatis, ce germe ne peut pas être mis en évidence par culture et son rôle a longtemps été méconnu. Il est pourtant l’un des principaux agents d’urétrites non gonococciques chez l’homme. Chez la femme, il est principalement responsable de cervicites muco-purulentes.

Thierry MARIN-LAFLECHE, Biologiste responsable du laboratoire DYNABIO Carreau